Le prestigieux Riverbend Cycling Club (RCC) regroupe des gentleman d'Alma qui prennent plaisir à rouler ensemble, le vent de dos, en descendant les côtes. Ce blog a pour but de planifier et de commenter les sorties à vélo. Au-delà de l'anecdote, ces récits sont des leçons de courage et de vertu, mettant en scène des athlètes bedonnants et grisonnants qui embarrassent les routes sans aucune gêne...

mardi 5 août 2008

Du jus de boyau

Lac-vert classique. 65 km. 34.5 moy.
groupe : Sphinx, Big Marc, M. Clean, Méphisto, Ti-Red


par Ti-Red
Harold Méphisto Lavoie est de retour en ville.
Après avoir passé les derniers mois à son chalet au nord du lac, il s'est présenté tout heureux à la Friperie. Il n'avait pas roulé avec nous depuis au moins deux mois, et je me souviens que ses deux dernières sorties n'avaient pas été un succès. Il avait fait une crevaison au bout de dix kilomètres et, comme c'est le seul cycliste d'Alma qui roule sur des boyaux, personne n'avait pu le dépanner.
Comme d'habitude, même si tout le monde adore Harold, personne ne voulait prendre sa roue, parce qu'il n'est pas de taille à nous cacher du vent, et c'est finalement le Sphinx qui en a hérité, après avoir tenté en vain de se défiler.
-- On fait quel trajet ? a demandé Mister Clean.
Comme il faisait soleil pour la première fois depuis un mois, on a décidé de s'éloigner d'Alma et de rouler en direction d'Héberville ou de Lac-À-La-Croix. J'ai proposé un Lac Vert classique par le rang St-Isidore. Il y a une dizaine d'années, avant la véloroute et l'autoroute 70, c'était pratiquement le seul parcours pour les cyclo-sportifs. Yvon Monon'cle Fortin, qui n'aime pas la diversité, l'a déjà fait 125 fois dans une seule saison.
-- Vu que c'est ma fête, dis-je, c'est moi qui décide !
-- C'est vraiment ta fête ? a demandé Big Marc.
-- En fait, c'était hier.
-- Sérieux ? Je te crois pas.
-- Comment ça, tu me crois pas ?
-- Tu me niaises.
-- Pourquoi j'aurais pas le droit, sacrement, d'avoir un anniversaire comme tout le monde !
-- Moi aussi, dit-il.
-- J'ai pas dit le contraire...
-- Non, moi aussi c'était ma fête.
-- Sérieux ? Je te crois pas.
-- Je te jure.
Je l'ai accroché par son casque pour lui faire la bise et lui souhaiter bonne fête. Il a tenté maladroitement de me repousser mais j'ai insisté. En 49 ans, c'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui a son anniversaire la même date que moi. On se connaissait depuis des années sans s'en douter. Incroyable. Au fond, ça fait peur...
Mais cet étrange hasard n'a pas semblé émouvoir les autres membres du groupe qui ont pris la route pendant que Big Marc et moi essuyons nos larmes. Le peloton a rapidement pris sa vitesse de croisière sur la rue Du Pont. Au bout de vingt minutes, Méphisto n'avait pas encore fait de crevaison. J'ai partagé mes inquiétudes avec le Sphinx.
-- Je me demande quand Harold va faire un flat ?
-- D'habitude, il ne traverse pas Héberville, a répondu le Sphinx.
Méphisto a compris que l'on parlait de lui.
-- Inquiétez-vous pas, les gars. Je n'ai pas fait de crevaison depuis deux mois.
Deux kilomètres plus loin, un peu avant Héberville, un étrange phénomène s'est produit. Un liquide verdâtre semblait jaillir du maillot de Méphisto comme des gouttes de sang. Durant une seconde, je me suis demandé, en voyant les gouttes de sang vert, s'il était méphisto pour vrai...
-- Qu'est-ce qui se passe ? s'est interrogé le Sphinx. On dirait que tu perds de l'huile.
Méphisto a vérifié si son bidon coulait puis il a fouillé dans ses poches de maillot. Rien ne semblait anormal.
-- Non, y'a rien qui coule, répondit-il.
Le Sphinx s'est redressé sur son vélo :
-- Écoute, je suis pas fou. J'en ai plein la face, je vois plus rien !
Méphisto a soudain réalisé ce qui se passait :
-- J'ai une crevaison, chriss de kaliss !
Il s'est rangé sur l'accotement en blasphémant.
Les gouttes visqueuses étaient en fait une sorte de liquide que Méphisto verse dans ses pneus -- du jus de boyau -- pour colmater les crevaisons (photo). On n'arrête pas le progrès.
-- Ça pas l'air très efficace, fit remarquer le Sphinx a essuyant la graisse dans ses lunettes.
-- J'espère que ça coûte pas trop cher, ajouta Big Marc.
-- Qu'est-ce que ça goûte ? demandai-je au Sphinx.
-- C'est pas mauvais...
On est reparti sans Méphisto qui avait besoin de calme et de temps pour changer son boyau. On l'a revu vers la fin du trajet et il avait une drôle de mine. Les traits figés, le regard vitreux... Il semblait comme en transe, et des traces verdâtres étaient visibles aux commissures des lèvres. J'ai soudain compris pourquoi il voulait toujours rester seul pour réparer ses crevaison...

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